Au sein de l’Atelier CROMA, la restauration de peintures est une science qui nécessite une compréhension approfondie des différences entre les œuvres modernes et anciennes.
Les méthodes de nettoyage varient considérablement en fonction des matériaux et techniques utilisés par les artistes. Adapter les techniques de nettoyage en fonction de l’âge et de la composition des peintures est crucial pour préserver leur intégrité et leur esthétique.

Nettoyage d’une peinture moderne à l’aide de solution au pH addapté. (Photo de Anaelle Duault)
Peintures à l’huile Anciennes :
Les œuvres anciennes, principalement réalisées avant 1860, sont souvent recouvertes de vernis qui protège la peinture sous-jacente. Ce vernis empêche, entre autres, la saleté de pénétrer dans la couche picturale, facilitant ainsi le nettoyage.
Les vernis de résine naturelle, couramment utilisés, étaient appréciés pour leur capacité à sécher rapidement et à offrir une protection durable, bien qu’ils jaunissent avec le temps, altérants parfois la perception des couleurs originales.
Peintures à l’huile Modernes :
Les peintures modernes, produites après 1860, utilisent des matériaux industriels et sont peu vernies. L’absence de vernis les rend plus vulnérables aux salissures et à la dégradation.
En effet, la saleté adhère directement à la couche de peinture, ce qui complique le nettoyage et augmente les risques de détérioration. De plus, les matériaux modernes présentent des comportements chimiques différents par rapport aux matériaux traditionnels, nécessitant une approche de nettoyage adaptée.
Problématiques de Nettoyage
Compatibilité des Matériaux :
Avec l’industrialisation et l’invention des peintures en tubes, les huiles sont traitées et clarifiées, notamment avec de la terre activée, menant à une augmentation du pH. L’huile alors alcaline n’a plus le même comportement avec les pigments et devient moins compatible ; induisant une nécessité d’ajouter des additifs industriels pour améliorer la dispersion des pigments. Ces additifs, tels que le stéarate d’aluminium et le stéarate de zinc, utilisés surtout après 1920, facilitent la dispersion mais peuvent « […] avoir un effet sur la sensibilité à l’eau d’un film d’huile « sèche ». » [1] (Burnstock et al., 2006). En effet, leur dégradation au fil du temps peut entraîner la formation de sels et de savons métalliques, rendant la peinture encore plus vulnérable à l’humidité et aux processus de nettoyage.
L’hypothèse suivante est émise (Burnstock et al., 2006) : les savons à base de stéarate d’aluminium peuvent s’hydrolyser pendant le vieillissement, formant des alumines hydratées [Al (OH)3] et des acides gras libres, ou des savons d’acides gras solubles. Ainsi, s’il est en quantité suffisante, l’additif hydrolysé pourrait empêcher l’huile de siccativer, la rendant vulnérable à l’humidité. Le tout, ajouté à l’hygroscopicité de l’alumine hydraté, amplifiant les effets néfastes de l’eau pendant le nettoyage. [2]
Bien que cette théorie n’ait toujours pas pu être validée avec certitude, une précédente étude rapproche le passage de bâtonnets ouatés imbibés de solvants aqueux avec une instauration de l’apparence de la couche colorée. [3]
De fait, la technique ainsi que les matériaux utilisés par le restaurateur doivent prendre cela en compte.
Saleté et Peau de Liant :
Les peintures à l’huile modernes, en raison des traitements appliqués, sont donc biphasées, avec une couche organique, la peau de liant, et une couche de peinture. Cette peau de liant résulte de la remontée à la surface des additifs, tensio-actifs, et acides gras libres présents dans les huiles modernes (Hendriks et al., 2017). Ces éléments piègent la saleté, rendant le nettoyage plus complexe car la saleté est intégrée directement dans la couche picturale et difficilement amovible sans risque d’endommager la peinture.
Est différencié la crasse incrustée et la crasse imprégnée dans la couche picturale (Hendriks et al., 2017). En effet, la crasse vient soit pénétrer la couche (pour des peintures pulvérulente/poreuse, sensibles à l’eau ou cassante), soit s’incruster dans la peau de liant ou les exsudats de peintures.
Méthodes de Nettoyage
Les découvertes récentes soulignent l’importance d’utiliser des méthodes de nettoyage adaptées et soigneusement contrôlées pour préserver les œuvres modernes.

Nettoyage à sec d’une peinture à l’aide d’éponge polyuréthane
Nettoyage à Sec :
Cette méthode utilise des éponges spécifiques pour enlever la saleté sans utiliser de solvants. Cependant, le nettoyage à sec peut ne pas être suffisant pour les saletés incrustées. Il existe un risque d’endommager la peau de liant.
Les éponges à maquillage, en polyuréthane,[4] sont préférées pour leur douceur et leur efficacité. En effet, certains autres nettoyages à sec peuvent laisser des résidus, d’autres peuvent venir lisser, aplanir, ou polir la surface. Notons qu’il est recommandé de rincer les éponges dans l’eau déminéralisée avant usage pour éliminer tout résidu potentiel qui pourrait interagir avec la peinture. Lors de ce rinçage, le but serait d’obtenir une eau claire, avec un pH neutre.
Solution Tampon :
Une solution tampon est une solution dans laquelle coexiste en quantité sensiblement équivalente un acide faible et sa propre base conjuguée. Ces solutions sont capables de maintenir le pH, ce malgré l’ajout de petite quantité d’acide ou de base, ou bien malgré une dilution. De fait, les solutions tampons permettent un nettoyage plus sûr (face à une solution d’eau déminéralisé), car elles empêchent l’acidification ou l’alcalinisation excessive de la peinture, ce qui pourrait entraîner une dégradation chimique de la surface.

Mise en place et utilisation de solution tampon (Photo de Anaelle Duault)
Toutefois, bien qu’elle soit mieux que de l’eau, la solution tampon risque toujours de retirer, plus que la crasse, la peau de liant. De fait, de dégrader une partie de la couche colorée. Cependant, selon le site Cleaning Modern Oil Painting :
« L’ajustement du pH et de la conductivité (teneur en ions libres) des systèmes de nettoyage à base d’eau, ainsi que l’utilisation d’émulsifiants à base de silicone […], se sont révélés prometteurs en offrant la possibilité d’éliminer les salissures tout en causant des changements minimes aux propriétés du film de peinture sous-jacent. ». [5]
Ainsi, plus que le pH, la conductivité peut aussi être réglé. Cela aide à contrôler l’interaction entre la solution de nettoyage et la surface de la peinture, assurant une distribution uniforme des ions et évitant des effets indésirables dus à une conductivité inappropriée.
Les gels :
L’utilisation de gels, comme le gel d’agar, le gel de Pemulen® et le gel de silicone, permet une pénétration contrôlée des solvants, minimisant le risque d’endommagement mécanique et chimique de la surface de la peinture.
Le gel d’agar forme un gel solide lorsqu’il refroidit, ce qui limite la pénétration des solvants dans la peinture (Van der Berg & Volk, 2014). Pour aller plus loin, quand elle est chauffée au-dessus de 90-95°C, la poudre d’agar se dissout dans l’eau et forme une solution colloïdale. Quand elle refroidit « jusqu’à 30-40°C – selon le type d’agar – un réseau de doubles hélices se développe par liaison hydrogène, résultant en un gel rigide ».[6]
Cette méthode est particulièrement utile pour les surfaces sensibles et permet de solubiliser la crasse en surface sans nécessiter de rinçage. L’application du gel peut varier : il peut être appliqué en gel rigide ou en solution chaude, selon la surface à nettoyer.

Les gels Pemulen®, sont des polymères qui permettent de créer des systèmes gélifiés contenant des solvants organiques et de l’eau, offrant un contrôle précis sur l’application du solvant et limitant son absorption par la peinture (Cremonesi, 2003). Ils peuvent être ajustés pour modifier leur viscosité et leur compatibilité avec divers solvants. Principalement utilisé pour stabiliser les émulsions huile-eau, cela permet d’avoir une hygroscopie minimisée, et donc de respecter la surface de l’œuvre.
Les gels silicones, quant à eux, sont utilisés pour leur capacité à encapsuler les solvants et les relâcher de manière contrôlée, sans pénétrer profondément dans la couche de peinture, réduisant ainsi le risque de détérioration de cette dernière et offrant une méthode de nettoyage plus douce et efficace. Ils sont compatibles avec une large gamme de solvants organiques, ce qui permet de l’utiliser avec différents types de salissures et résidus. Il peut être aussi utilisé en combinaison avec d’autres gels ou solutions tampons pour des traitements spécifiques, offrant une grande flexibilité dans les méthodes de nettoyage.
La texture douce du gel permet de nettoyer les surfaces délicates sans abrasion. Le point faible principal de ces gels étant leur prix.
Conclusion
Le nettoyage des peintures modernes et anciennes nécessite une approche différenciée en raison de leurs compositions et techniques distinctes. À l’Atelier CROMA, nous appliquons des méthodes de nettoyage précises et personnalisées, garantissant la conservation et la restauration optimales des œuvres d’art tout en respectant leur intégrité historique et matérielle. Notre expertise nous permet de choisir les techniques et matériaux les plus appropriés pour chaque œuvre, assurant ainsi sa préservation pour les générations futures.
Pour plus d’informations ou pour discuter d’un projet de restauration, n’hésitez pas à contacter l’Atelier CROMA. Nous sommes dédiés à la préservation et à la restauration des œuvres d’art avec expertise et passion.
[1] [Traduction personnelle]. Burnstock et al., 2006. p.179.
[2] « Le stéarate d’aluminium partiellement hydrolysé présente des fonctionnalités semblables à celles du surfactant et pourrait potentiellement former des micelles avec des groupes fonctionnels hydroxyles polaires externes qui pourraient faciliter l’humidification de l’eau pendant nettoyage ». [Traduction personnelle]. Idem. p.186.
[3] Burnstock et al., janvier 2008. p.657.
[4] « La plupart des éponges de maquillage sont produites à partir d’isoprène, de caoutchouc styrène butadiène (SBR) et de mélanges des deux à l’échelle industrielle. Les éponges SBR-isoprène analysées contiennent toutes des antioxydants et des accélérateurs utilisés dans le processus de fabrication du caoutchouc. Une partie mineure des éponges est constituée de polyuréthane, qui ne contient pratiquement aucun additif. » [Traduction personnelle]. Daudin-Schotte et al., 2013.
[5] [Traduction personnelle] Lee & Ormsby, 2017.
[6] Van der Berg, & Volk, 2014. [Traduction personnelle]. p.392.
Sources
Burnstock, A., Jan Van Den Berg, K., De Groot, S., & Wilnberg, L. (2006). « An investigation of water-sensitive oil paints in twentieth-century paintings. » Modern Paint Uncovered Symposium, Getty Conservation Institute.
Burnstock, A., Megens, L., Van Keulen, H., & Jan Van Den Berg, K. (Janvier 2008). « Water sensitivity of modern artists’ oil paints. » ICOM Committee for Conservation, Painting Vol II.
Cremonesi, P. (2003). « The Use of Solvents and Solvent Gels in the Cleaning of Paintings. » Archetype Publications.
Daudin-Schotte, M., Bisschoff, M., Joosten, I., Van Keulen, H., & Jan Van Den Berg, K. (Janvier 2013). « Dry Cleaning Approaches for Unvarnished Paint Surfaces. » Smithsonian Contributions to Museum Conservation, Vol III.
Hendriks, E., Jan Van Den Berg, K., Steyn, L., & Stols-Witlox, M. (Septembre 2017). « Cleaning modern oil paints: The removal of imbibed surface dirt. Towards an integrated conservation methodology for the assessment, contextualization and treatment of imbibed surface dirt on unvarnished modern oil paintings. » ICOM-CC 18th Triennial Conference, Copenhagen.
Lee, J., & Ormsby, B., (March 2017). The trouble with modern oils: Recent CMOP progress at Tate. Dans Tate [consulté le 12/06/24] URL: https://www.tate.org.uk/about-us/projects/cleaning-modern-oil-paints-0/trouble-modern-oils.
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